Valéry Giscard d’Estaing: la disparition d’un grand Européen
Valéry Giscard d’Estaing ne figure pas au rang des « pères de l’Europe ». Le stupide rejet en 2005 du projet de constitution européenne qu’il avait porté sur les limbes au prix d’un travail considérable ne lui aura pas permis de figurer parmi les noms des grands fondateurs de l’Europe : Robert Schuman, Jean Monnet, Conrad Adenauer, Antonio de Gasperi, Paul-Henri Spaak… L’ancien président français qui vient de mourir en aurait pourtant été digne. Il a en effet été tout au long de sa vie politique un ardent défenseur de la construction européenne, et c’est incontestablement l’un des points les plus positifs de son septennat que l’Histoire retiendra.
Giscard fut le premier président français à comprendre réellement l’intérêt de l’Europe pour la France. De Gaulle voyait dans l’Europe le moyen pour la France de continuer à être une grande puissance, à condition que la France – c’est-à-dire lui de Gaulle – puisse faire la pluie et le beau temps en Europe. Stagiaire à la Commission en 68, j’ai pu constater à quel point la France était omniprésente et contrôlait à peu près tout. Pompidou était un souverainiste convaincu ; et il favorisa l’entrée du Royaume Uni dans la CEE parce qu’il savait que celui-ci ferait tout pour contrer la naissance d’une fédération européenne. VGE fut le premier président de la Ve République à avoir une véritable vision européenne de l’Europe. Il fut le premier à vouloir faire de l’Europe autre chose qu’un « Marché commun » ou qu’un champ d’action du couple franco-allemand, même si son entente profonde avec le chancelier Helmut Schmidt favorisa beaucoup les choses. C’est la raison pour laquelle il poussa énormément en faveur de l’élection du Parlement européen au suffrage universel en 79. On a rappelé ces jours derniers son initiative en faveur du système monétaire européen, qui préluda à la réalisation de l’Euro, et son rôle majeur dans la préparation du traité constitutionnel rejeté en 2005, mais tellement nécessaire qu’il fut remplacé en 2008 par le traité de Lisbonne, qui en reprenait les grandes lignes.
Giscard était réticent à l’ouverture de l’Union aux pays de l’Est nouvellement libérés du joug soviétique. Il souhaitait que l’Union renforce ses institutions avant de s’élargir à de nouveaux entrants. Il reconnut plus tard qu’on ne pouvait faire autrement, mais il voyait bien que ces pays créeraient des difficultés, parce que n’ayant pas suivi le même cheminement démocratique que les pays fondateurs. Comme il avait bien vu que les Britanniques ne joueraient jamais le jeu européen. La demande de Margaret Thatcher de récupérer le montant du solde contributeur du Royaume Uni à l’Europe – I want my money back ! – l’avait ulcéré, et il prétendit récemment qu’en introduisant dans le traité constitutionnel l’article 50 pour permettre au Royaume Uni de sortir, il était en quelque sorte le « père du Brexit ». En tous cas, il se réjouit de la décision des Britanniques en 2016, qui permettait à l’Europe, selon lui, de s’affranchir du frein considérable que ceux-ci opposaient à toute avancée dans le renforcement de l’Union.
Après lui, Mitterrand puis, de façon moins éclatante, Sarkozy et enfin Hollande furent des présidents résolument pro-européens. Mais aucun ne le fut d’une façon aussi visionnaire et profonde que Giscard. Emmanuel Macron a repris ce flambeau avec enthousiasme et détermination. Mais les temps ont changé et il y a lurette que la France a perdu son prestige et ne fait plus la pluie et le beau temps dans l’Union… Le rejet du traité constitutionnel en 2005 et le faible intérêt de Jacques Chirac pour l’Europe – les deux sont d’ailleurs liés, puis le décrochage économique de la France à partir des années 2000, ont cassé cette belle dynamique. L’Allemagne réunifiée a pris la place de leader qui était celle de la France, comme le craignait François Mitterrand. Non pas seulement parce que l’économie allemande a définitivement pris le pas sur l’économie française mais parce que Gerhard Schröder d’abord puis Angela Merkel ont joué systématiquement la carte européenne, même si Angela n’a pas hésité à certaines occasions à agir seule, notamment sur la question migratoire parce qu’elle savait que les autres pays membres ne suivraient pas. Giscard avait compris que le destin de la France se jouait en Europe, et que l’avenir de l’Europe passait par une France forte, unie, moderne et dynamique économiquement et financièrement. On peut voir aujourd’hui à quel point il avait raison.
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